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Cercles d’hommes : une aventure belle mais complexe, entre parole, vulnérabilité et nécessité de dire « STOP 

Il est 19h.
Comme chaque mois, j’accueille les femmes qui arrivent pour le cercle au Musée Sauvage. Je fais le tour du café, de la terrasse… et, depuis plusieurs mois, une scène se répète : des hommes m’interpellent.

« C’est quoi un cercle de femmes ? »
Je leur explique.
Puis vient toujours la même question :
« Et pourquoi pas des cercles d’hommes ? »

Je vous passe les remarques et les sous-entendus…

Alors un jour, j’ai répondu :
« D’accord messieurs. Si vous voulez un cercle d’hommes, parlons-en avec le Musée. »
Comme pour les cercles de femmes, on m’a dit :
« Peut-être que personne ne viendra… »

Pourtant, j’y croyais.
Parce que dans ma carrière professionnelle, j’ai longtemps travaillé avec des hommes : dans un foyer d’hébergement de 150 résidents — des hommes sans-abri, en situation précaire, avec des troubles psy, des addictions, sortant de prison… Oui, avant d’accompagner des femmes, j’avais déjà accompagné des hommes, y compris des auteurs de violences.

Créer un espace de parole dépouillé de la compétition virile, du « je suis le plus fort », pour leur permettre d’être eux, avec leurs nuances — virilité, douceur, émotions, peurs, vulnérabilité — avait du sens.
J’avais hâte.
Et je fais partie de ces femmes qui pensent que pour rendre le monde moins violent, il faut offrir des espaces de parole sécurisés aux femmes et aux hommes.
Pas forcément ensemble.
Les espaces mixtes existent partout ; les espaces entre pairs sont précieux.

Le Musée Sauvage a encore une fois soutenu l’idée — mille mercis.

Nous avons lancé l’expérience.
Trois cercles ont eu lieu.
Ils n’étaient pas pleins, mais je n’étais jamais seule, et j’y ai pris un vrai plaisir.
Je crois que les hommes présents aussi.

Mais j’ai dû arrêter.
Non pas par manque de participants, mais parce qu’un événement m’a montré que je n’étais plus alignée et que la sécurité — la mienne comme celle du groupe — n’était plus assurée.

Le soir qui a changé la suite

Ce soir-là, ils étaient quatre.
Ils ne se connaissaient pas entre eux ; je ne les connaissais pas vraiment ; les âges étaient variés.

Rapidement, l’un d’eux prend la parole et glisse plusieurs remarques sexistes et misogynes :
« Aujourd’hui on ne peut plus draguer une collègue à la photocopieuse… »
« On ne peut plus rien dire… »

Était-ce pour me tester ?
Pour voir si j’arriverais à tenir le cadre ?
Je ne le saurai jamais.

Je recadre. Je rappelle la loi.
Ce n’était pas autorisé “avant” non plus : les hommes se l’autorisaient, ce n’est pas la même chose.
Puis je ramène le cercle au sujet du jour.

Ce qui m’a touchée, c’est que les autres hommes du groupe ont eux-mêmes posé leurs limites.
Chacun leur tour, calmement, ils lui ont expliqué pourquoi ses propos n’étaient pas acceptables.

Le cercle se termine.
Tout le monde descend… sauf lui.
Je range le matériel.
On est hors cadre, hors sécurité. Il est 21h, un vendredi soir.

Et là, il me dit LA phrase de trop :

« Une femme qui a déjà été victime d’agression, ça se voit… ça se sent… c’est une ouverture. »

C’est sorti tout seul :
« Vous savez que je suis experte dans l’accompagnement des victimes d’agressions et de violences ? Oui, on apprend à repérer les victimes. Mais nous apprenons aussi à repérer les agresseurs. Je vous invite à vous poser des questions. »

Il est resté figé.
Puis il est parti.
Je ne l’ai jamais revu.

Pourquoi j’ai arrêté les cercles d’hommes

Après cet épisode, j’ai compris plusieurs choses :

  • le prix libre ouvrait la porte à des hommes venant « tester mes limites » ou « déverser leur malaise »
  • certains maris ou ex-compagnons de femmes que j’accompagne pourraient venir — ce qui mettrait ma sécurité en danger
  • je ne voulais pas supporter professionnellement les mêmes propos misogynes que j’entends trop souvent dans ma vie quotidienne
  • je ne pouvais plus garantir la sécurité émotionnelle nécessaire pour les hommes réellement prêts à travailler sur eux

J’étais très en colère, épuisée que ce type d’homme ne ce remette pas en question, et pas alignée.
Alors j’ai arrêté, pour ne pas répondre un jour avec violence ou lassitude.

Un jour peut-être… mais pas maintenant

Ce n’est pas que je refuse les espaces de parole pour les hommes.
Au contraire :
je suis convaincue qu’ils sont essentiels.

Je continue d’accompagner les hommes en individuel, où la sécurité est totale et le cadre clair.

Mais je n’ai pas encore trouvé la manière d’animer un cercle d’hommes en groupe en garantissant ma sécurité physique, émotionnelle et professionnelle, et la leur.

C’est dommage.
Mais c’est le reflet d’un fonctionnement sociétal réel.

Un jour, peut-être, quand le cadre sera solide… qui sait.

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